Dans la nuit de mardi à mercredi 29 juillet, un migrant a trouvé la mort en essayant de passer de France en Angleterre via l’Eurotunnel. Ce qui porte à neuf le nombre de migrants morts de cette façon depuis juin. La réponse des pouvoirs publics français ? Sécuriser le tunnel encore plus…
Auteur : Jonathan Lefevre
La victime, âgée entre 25 et 30 ans et d’origine soudanaise, s’est fait écraser par un camion. Selon Eurotunnel, le nombre de personnes voulant passer la frontière via la tunnel sous la manche s’élève à 3 500 en deux nuits (2 000 dans la nuit de lundi a mardi et 1 500 la nuit dernière). Ce chiffre élevé s’explique par un conflit social qui bloque le trafic transmanche. Les migrants voyant là une belle occasion de quitter la « jungle » de Calais, où des milliers de personnes survivent en attendant une solution.
La « jungle » est une zone d’urgence humanitaire. Fin des années 1990, le gouvernement social-démocrate français de Lionel Jospin décide, vu le nombre de migrants qui tentent de passer la frontière à cet endroit, de construire un abri. Le centre de Sangatte, prévu initialement pour 200 personnes, en accueille finalement près de 2 000. En 2002, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy (futur président de la République, UMP, droite) décide de tout raser. Après quelques années où l’endroit est une zone de non-droit où seules les associations humanitaires décident d’agir, la « nouvelle jungle de Calais » comme l’appelle la presse, compte plus de 2 000 personnes, en majorité des ressortissants du Pakistan, d’Erythrée, d’Afghanistan ou du Soudan.

En plus de la misère de ce bidonville, ses habitants doivent faire face à un autre problème : les violences policières. Dans son dernier rapport sur la France, le comité des droits de l’Homme de l’ONU dénonce « le recours abusif à la force par les forces de l’ordre ». (Lire le rapport ici)
« Le Comité s’inquiète des allégations faisant état de mauvais traitements, d’usage excessif de la force et d’utilisation disproportionnée d’armes de force intermédiaires, en particulier lors d’interpellations, d’évacuations forcées et d’opérations de maintien de l’ordre. Il s’inquiète également de la persistance de « contrôles au faciès » et d’ allégations de harcèlement policier, de violences verbales et d’abus de la force contre des migrants et des demandeurs d’asile dans la ville de Calais », peut-on y lire, entre autres. Il recommande à l’État français « que l’usage excessif de la force donne lieu à des enquêtes approfondies et que les auteurs soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leur acte ».
« La France est pourtant un pays riche »
La réaction du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve (PS) après cette neuvième victime ? Le déploiement de 120… policiers et gendarmes aux alentours du tunnel. Et pour la situation des migrants ? Rien. En tout cas, pas assez selon quatre ONG (Médecins du Monde, Solidarités International, le Secours Islamique de France et le Secours Catholique) qui ont lancé depuis le 30 juin une grande opération visant à améliorer les conditions de vie des locataires de la jungle. Aide médicale, construction d’abris, kits d’hygiène… sont là pour permettre à ces familles de (sur)vivre un peu plus décemment. « La France est pourtant un pays riche, tout à fait capable de répondre à cette situation. Mais les autorités ont une volonté politique délibérée de ne pas protéger ces gens », selon Jean-François Corty, directeur des opérations en France de Médecins du Monde au quotidien régional La Voix du Nord le 1er juillet. Thierry Benlahsen, de Solidarités International : « Ici, les normes des Nations Unies ne sont même pas respectées : elles prévoient par exemple une latrine pour 50 personnes dans les situations d’urgence. Or, à Calais, les migrants disposent actuellement d’une latrine pour 115 personnes ! »
La « jungle » de Calais, et le sort de ses locataires, est un problème d’urgence humanitaire en plein coeur de l’Europe occidentale, à quelques kilomètres du siège de l’Union européenne. Et ce problème, qui dure depuis plus de 20 ans, l’État français ne semble pas vouloir le régler autrement que par la force. A quand un vrai investissement des pouvoirs publics du « pays des droits de l’Homme » ?