Faut-il craindre l’arrivée des réfugiés ?

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Y a-t-il de quoi être inquiet de l’arrivée des réfugiés en Belgique ? Beaucoup de choses sont dites, et beaucoup d’information circule, notamment sur Internet. Sommes-nous envahis ? Notre sécurité sociale est-elle en danger ? Doit-on craindre une invasion islamiste ? Les SDF belges sont-ils victimes de la solidarité avec les demandeurs d’asile ? Tentative d’éclairage.

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Auteurs : Axel Bernard, Quentin Vanbaelen

Télécharger le dossier publié dans le mensuel Solidaire du 5 octobre 2015.

Sommes-nous envahis ?

La crise des réfugiés constitue un défi, pas de doute là-dessus. Cependant, résoudre le problème de l’accueil est loin d’être impossible. D’ailleurs, la Belgique a déjà fait face à une crise plus importante. En 2000, plus de 42 000 demandeurs d’asile arrivent chez nous suite à la crise au Kosovo. À titre de comparaison, fin août de cette année, on recensait 16 754 demandes d’asile.  Cela représente environ 0,1 % de la population belge. Difficile de parler d’invasion. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de volonté politique de gérer cette crise. Plus de 6 000 places d’accueil avaient été supprimées sous le gouvernement Di Rupo, et encore plusieurs milliers par Theo Francken, avec le nouveau gouvernement.

D’ailleurs, l’Europe accueille très peu de réfugiés par rapport à des pays du Sud. Le professeur et statisticien suédois Hans Rosling a réalisé une vidéo qui illustre bien cette question :

Combien coûte l’accueil des demandeurs d’asile ?

Le gouvernement veut investir 6 milliards d’euros dans des avions de combat

Contrairement à ce qu’on entend parfois, celui qui demande l’asile ne reçoit aucune aide financière, ni allocations de chômage, ni familiales… La prise en charge totale d’un candidat réfugié dans un centre coûte 38 euros par jour. C’est le centre qui reçoit cet argent et assume tous les coûts de logement, de nourriture, des soins médicaux, de scolarité pour les enfants, et tout ce qui est strictement nécessaire pour vivre. L’accueil des demandeurs d’asile a coûté au total un peu plus de 300 millions d’euros en 2014. C’est évidemment une somme importante, mais cela ne représente que 0,15 % des dépenses totales de l’Etat belge. À titre de comparaison, chaque mois, l’État belge dépense près de 15 millions pour intervenir militairement en Irak.

Accueillir trop de réfugiés menace-t-il notre sécurité sociale ?

Lors du tax shift, le gouvernement a coupé 2 milliards d’euros dans la sécurité sociale

L’accueil d’un demandeur d’asile ne dépend pas de la sécurité sociale, augmenter le budget de l’accueil en 2015 n’aura donc aucune incidence sur ce budget.

En réalité, si la sécurité sociale va mal, c’est parce que, depuis trente ans, les gouvernements successifs n’ont pas cessé de diminuer son financement, en offrant des réductions de cotisations aux patrons, notamment. Rien que lors du Tax shift de cet été, le gouvernement a encore enlevé 2 milliards d’euros de la caisse de la sécurité sociale, en réduisant les cotisations patronales et par divers cadeaux aux entreprises. Cette politique nuit davantage à la sécurité sociale que n’importe quel afflux de réfugiés.

Le 27 septembre dernier, dans l’émission « C’est pas tous les jours dimanche » sur RTL, Raoul Hedebouw, député et porte-parole du PTB, est ainsi revenu sur les propositions de Bart De Wever sur les réfugiés et a dénoncé la tactique du « diviser pour régner », dénonçant le fait que « Bart De Wever veut cacher sa politique d’austérité en cherchant un bouc-émissaire » : Hedebouw: “Bart De Wever veut cacher sa politique d’austérité en cherchant un bouc-émissaire”

Les réfugiés prennent-ils les logements des Belges qui en auraient besoin ?

En réalité, celui qui demande l’asile n’a droit qu’à un logement fort rudimentaire, souvent dans des anciennes casernes militaires. Ce n’est que s’il est reconnu réfugié qu’un demandeur d’asile aura droit à demander un logement social. Et, comme tous les autres, il sera inscrit sur une liste d’attente. Or, fin 2012, 107 351 candidats-locataires étaient inscrits sur les listes d’attente des logements sociaux en Flandre, 37 983 en Wallonie et 41 461 à Bruxelles.

Rien qu’à Bruxelles, il y a entre 15 000 et 30 000 logements vides. De quoi loger sans-abris et réfugiés

C’est un choix politique des gouvernements de ne pas investir dans le logement social qui a causé cette situation. Par exemple, à Bruxelles, on construit en moyenne 49 logements sociaux par an. À ce rythme, 846 années seront nécessaires pour résorber la liste d’attente de la ville. Pourtant, rien qu’à Bruxelles, il y a entre 15 000 et 30 000 logements vides, sans compter les immenses surfaces de bureaux inoccupées. De quoi loger toutes les personnes sans-abri. La mise en concurrence des sans-abris « belges » et des réfugiés est plus le fruit d’une politique de désinvestissement social que de l’arrivée de migrants.

Par ailleurs, les bénévoles qui se mobilisent pour les réfugiés sont souvent les mêmes qui sont actifs dans la lutte contre la pauvreté. Ils savent que la Belgique est un pays riche qui peut accueillir beaucoup de monde décemment. Mais, pour cela, il faut simplement mieux répartir la richesse.

Vont-ils s’intégrer ?

Selon une étude d’Andrea Rea, professeur à l’ULB, après 4 ans, plus de la moitié des réfugiés installés en Belgique travaillent et ils ne sont plus qu’un quart à bénéficier du revenu d’insertion. C’est un résultat qui n’est pas très éloigné de ceux de la Belgique en général.

À noter aussi, la plupart des réfugiés qui arrivent chez nous avaient un bon statut socio-économique dans leur pays d’origine. Les plus pauvres ne peuvent tout simplement pas se payer la traversée. Il s’agit donc souvent de gens diplômés, qui avaient un travail, etc., et pas de « la misère du monde ». Ce qui explique également le fait qu’ils possèdent des smartphones, par exemple, quelque chose qui interpelle certaines personnes.

D’un autre côté, il y a la question culturelle, qui est une vraie question de société. Certains se demandent si notre société ne risque pas de changer, de s’« islamiser ». D’abord, il faut revenir aux chiffres. Les Belges estiment en général à 29 % la part de population de confession musulmane. En réalité, les musulmans sont 6 % de la population belge. Dans ces musulmans, il y a de tout : des pratiquants, des non pratiquants, des progressistes, des conservateurs, des traditionalistes, des gens qui interprètent leur religion de façon très libre, etc. Il n’y a pas nécessairement plus de différences entre un travailleur syrien musulman de gauche et un travailleur athée belge de gauche qu’entre ce dernier et un patron chrétien conservateur.

L’intégration est un processus compliqué. On ferait bien de ne pas oublier qu’à une époque on traitait avec mépris les « macaronis » (surnom raciste donné aux immigrés italiens) qui venaient avec leurs traditions bizarres, qui menaçaient la vertu de nos femmes, avaient d’étranges habitudes alimentaires, etc. Eux aussi, disait-on, venaient « profiter », comme en témoigne cette chanson de 1972.

N’amènent-ils pas un risque de terrorisme et d’islamisme chez nous ?

Les gens qui arrivent ici sont justement ceux qui fuient la violence de l’État islamique (EI) et de la guerre. D’ailleurs, les demandeurs d’asile sont fichés et enregistrés à leur arrivée, ce qui en ferait tout sauf des terroristes potentiels « sous le radar ».Les experts en matière de sécurité et de terrorisme estiment que l’hypothèse du « cheval de Troie » de l’EI avec des djihadistes cachés parmi les migrants ne tient pas la route.

Pourquoi tant de gens fuient-ils ?

À l’échelle de la Belgique, les victimes de la guerre en Syrie signifieraient l’extermination des populations des villes comme Namur, Mons ou Bruges

Il faut savoir que, rien qu’en 2014, 15 000 personnes sont mortes en Irak en raison de la guerre qui y fait rage. En Syrie, les morts liées au conflit se comptent en dizaines de milliers, sans compter les blessés, les viols, les destructions matérielles de maisons, etc. Les estimations les plus basses avancent plus de 100 000 morts liées au conflit en Syrie depuis 2011, les plus pessimistes parlent de 300 000. Il a été calculé qu’à l’échelle de la Belgique, cela signifierait l’extermination des populations des villes comme Namur, Mons ou Bruges.

En outre, les bilans des guerres  ne font généralement que s’alourdir lorsqu’il y a des interventions étrangères. Ainsi, en Libye, en 2011, la Belgique a participé à la coalition qui a bombardé le pays, avec des conséquences dramatiques. Selon The Guardian, le nombre de victimes se situait entre 1 000 et 2 000 avant l’intervention « humanitaire ». Quelques mois après l’intervention, on parlait de 10 000 à 50 000 victimes. La situation humanitaire en Irak est devenue catastrophique suite à l’intervention américaine. En 2013, 11 millions d’Irakiens vivaient dans des bidonvilles, contre même pas 3 millions en 2003. Chaque année, 44 000 enfants de moins de cinq ans meurent en raison de la situation dans le pays.

Photo Solidaire, Salim Hellalet

Est-ce vraiment à nous de les accueillir ? Nous ne sommes pas responsables de ce qui se passe là-bas…

Aucune intervention militaire occidentale n’a amélioré la situation sur place. Au contraire…

Évidemment, nous, en tant qu’individus, ne sommes pas responsables de la situation en Syrie et en Irak. Cela dit, nos gouvernements portent une responsabilité. Ainsi, la moitié des armes vendues au Moyen-Orient sont belges, avec des clients importants comme nos « alliés » l’Arabie Saoudite ou le Qatar, qui sont eux-mêmes parmi les plus grands fournisseurs d’armes aux groupes djihadistes. Il est également apparu que de nombreux pays européens achètent encore du pétrole issu de zones contrôlées par l’EI.

L’émergence même de l’EI n’est pas un accident, mais la suite de la destruction de l’Irak par la guerre américaine de 2003. Des documents des services de renseignements américains rendus publics ont d’ailleurs montré que, dans le but de déstabiliser le gouvernement de Bachar el-Assad, des groupes terroristes naissants en Syrie ont pu profiter d’aides financières et matérielles de la part de nos alliés.

Depuis 2014, une coalition pro-américaine bombarde aussi bien l’Irak que la Syrie dans le cadre de la lutte contre le groupe terroriste État islamique (EI). La Belgique participe officiellement au volet irakien de l’opération. Et bien que la situation au Moyen-Orient n’ait fait qu’empirer avec les différentes interventions militaires étrangères, notre gouvernement propose… d’intensifier les bombardements en Syrie, voire d’y envoyer des troupes au sol.

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