Aux racines de Daech

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Daech contrôle d’importants territoires de l’Irak et de la Syrie. Si le groupe terroriste a pu conquérir d’aussi vastes régions, c’est parce que l’armée et les structures de l’état irakien ont été entièrement anéanties par l’intervention américaine en 2003. La guerre en Syrie et l’affaiblissement de l’armée syrienne ont également laissé le champ libre à Daech.

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Auteur : Marc Botenga

D’où vient l’idéologie de Daech ?

Tout comme les autres religions recouvrent également divers courants, il existe plusieurs interprétations de l’islam. Rappelons par exemple qu’en Amérique latine, certains prêtres catholiques se battaient pour davantage de droits sociaux alors que l’Église officielle soutenait de sanglants dictateurs comme Pinochet. Il existe également au sein de l’islam des tendances progressistes et sociales, mais Daech se caractérise par une interprétation d’extrême droite.

C’est dans les années 1980 que le djihadisme salafiste a commencé à se répandre. Ce courant est basé sur la doctrine du « takfirisme », qui divise le monde entre le bien et le mal et applique littéralement les théories de l’idéologue conservateur Sayyid Qutb, souvent cité comme le précurseur de ce courant. C’est depuis l’Arabie saoudite que son frère, Mohammad Qutb, a diffusé cette pensée qui a entre autres inspiré Oussama ben Laden. La séparation du monde entre le bien et le mal rappelle par ailleurs les mots de l’ancien président américain George Bush : « Soit on est avec nous, soit contre nous. » Ce slogan est également parfois utilisé par Daech. « Bush avait raison », écrivait par exemple Dabig, le magazine de Daech, au début de cette année, citant Ben Laden.

Mais Daech a un problème. L’écrasante majorité des musulmans rejette son interprétation. Même au sein du salafisme, une interprétation fondamentaliste de l’islam, les djihadistes violents sont une petite minorité. Des experts supposent que c’est pour cela que Daech organise des attentats en Europe, espérant ainsi renforcer le racisme et l’extrême droite. Un raisonnement criminel, mais simple : si la vie des musulmans qui vivent en Occident devient bien plus difficile, ils finiront bien par choisir le camp de Daech.

Comment cette idéologie de la violence a-t-elle pu se répandre ?

Cela fait des années que l’Arabie saoudite sponsorise les tendances fondamentalistes. Elle a également envoyé des prédicateurs de haine en Belgique. Elle offre aussi des bourses pour aller étudier dans ce pays. Mais le succès de cette idéologie violente est aussi très lié au soutien octroyé par les États-Unis aux mouvements rebelles afghans dans les années 1980. Le père spirituel de Daech, Abou Moussab al-Zarqaoui, a passé beaucoup de temps en Afghanistan pour se former.

Dans les années 1970, pour renverser le gouvernement afghan soutenu par l’Union soviétique, Washington a soutenu ces prétendus « combattants de la liberté ». Ces moudjahidines étaient les prédécesseurs des Talibans, un groupe terroriste d’Afghanistan devenu bien plus connu après les attentats du 11 septembre. Le journal britannique The Independent avait même décrit à l’époque Oussama ben Laden comme un homme contribuant à la paix. Outre des centaines de millions de dollars, les États-Unis ont aussi livré des « manuels scolaires » aux rebelles afghans – des livres glorifiant en fait le djihad. Via ces manuels imprimés par l’université du Nebraska à Omaha, d’innombrables enfants des camps de réfugiés ont été endoctrinés pour combattre le gouvernement au nom de Dieu. Grâce à la CIA, des enfants afghans ont appris à lire avec des phrases comme « Tous les Russes et les mécréants sont notre ennemi » ou « Mon oncle a un fusil. Il mène le djihad avec son fusil ». Par après, les talibans afghans utiliseraient abondamment ces livres américains pour leur propagande.

L’Occident a-t-il aussi mené une telle propagande en Irak, où est né Daech ?

Même l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui a attaqué l’Irak en 2003 avec George W. Bush, a récemment admis que l’invasion de l’Irak était probablement la cause de l’apparition de Daech. Le fait que Daech soit aujourd’hui soutenu par d’anciens officiers de l’armée irakienne et par des groupes sunnites est en effet entièrement lié à l’occupation de l’Irak par les Américains.

Après l’invasion, les États-Unis ont été confrontés à une résistance nationale contre leur occupation. En partie pour détruire cette résistance – « diviser pour mieux régner » –, ils ont monté les sunnites et les chiites les uns contre les autres. Des milices chiites ont par exemple participé au « nettoyage ethnique » de la capitale irakienne. Avant la guerre, la plupart des quartiers de Bagdad étaient mélangés. Chiites, sunnites et chrétiens y vivaient ensemble. Cinq ans plus tard, pratiquement tous les quartiers ont été divisés selon l’obédience religieuse. Le pays a lui-même également été divisé et c’est un gouvernement dirigé par les chiites et discriminant les sunnites qui a été installé.

Cette politique a mené à l’essor du groupe terroriste sunnite Al-Qaeda en Irak. Pour anéantir Al-Qaeda, les États-Unis ont à nouveau utilisé des tribus et combattants sunnites. Près de 100 000 personnes ont été mobilisées et payées par les États-Unis pour les brigades sunnites Al Sahwa. Mais, après que ces milices se furent attaquées à Al-Qaeda, les Américains les ont laissées tomber et ne leur ont plus donné d’argent. Entre-temps, l’armée irakienne n’est pas devenue plus inclusive, ni le gouvernement sectaire irakien plus démocratique. Il n’est donc guère étonnant que de nombreuses tribus irakiennes hésitent aujourd’hui à combattre Daech, et que certaines le soutiennent même. Un Irak réellement inclusif, démocratique et national est une condition absolue si on veut que Daech disparaisse.

Il n’y a cependant pas eu d’intervention occidentale en Syrie ?

Le conflit en Syrie a commencé en 2011. Pour Washington, la révolte locale était une occasion unique. En effet, depuis 2006 déjà, l’Occident voulait renverser le président syrien Bachar el-Assad. Le général américain Wesley Clark a révélé la stratégie du président américain Bush pour changer en cinq ans les gouvernements de sept pays, dont la Syrie. Dans ce cadre, William Roebuck, le chargé d’affaires américain en Syrie, a conseillé en 2006 une série de mesures à ses supérieurs. L’objectif central était de créer à l’intérieur de la Syrie des fractures qui mèneraient à un conflit interne et à un « regime change », un changement de régime. Après 2011, les États-Unis et leurs alliés sont passés à la vitesse supérieure et ont commencé à soutenir des « rebelles modérés ».

Le lieutenant-général Michael Flynn, ancien chef de la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine, a souligné que ce soutien aux rebelles syriens a mené au succès du groupe terroriste Daech, ce qui était « un objectif délibéré » a-t-il déclaré. En 2012 déjà, la DIA mettait en garde contre la montée de Daech dans l’Est de la Syrie, exactement ce que souhaitaient nos « alliés ». Le vice-président américain Joe Biden a aussi reconnu que, via des pays alliés de l’Occident, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, du soutien et des armes arrivaient chez les rebelles islamistes radicaux.

Qu’y a-t-il derrière cette politique étrangère ?

L’objectif des gouvernements occidentaux a toujours été de garder le contrôle sur les réserves de pétrole et de gaz du Moyen-Orient. Pour cela, la meilleure manière est d’amener toute la région sous le contrôle d’États vassaux, des pays qui font exactement ce que nous voulons. À cet effet, il faut briser l’alliance entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah au Liban. Il est certes exact que l’Iran et la Syrie ne sont pas des démocraties, mais c’est une fausse justification qui est avancée. Nos alliés l’Arabie saoudite, le Qatar et le Bahrein sont encore bien moins démocratiques.

Ce qui dérange vraiment nos dirigeants, c’est que ces pays restent en état de développer eux-mêmes leur politique, indépendamment de l’Occident. Attiser les tensions religieuses et sectaires, donner un soutien financier et militaire massif à des mouvements d’opposition, des groupes armés et à des pays comme l’Arabie saoudite doit contribuer à leur effondrement. Dans cette optique, l’apparition de groupes fondamentalistes en Irak et en Syrie n’était initialement pas une telle catastrophe pour les États-Unis. C’est pour cela qu’il a fallu attendre si longtemps avant que le robinet financier ne soit enfin fermé. C’est pour cela que nous laissons faire l’Arabie saoudite. Pour cela, aussi, qu’Israël a régulièrement bombardé l’armée syrienne, qui combat pourtant Daech. Après les Talibans afghans, Daech, cet autre monstre créé par la politique étrangère occidentale, a toutefois également échappé à tout contrôle. Leurs guerres, nos morts.

Quel rôle joue la Belgique ?

La Belgique n’entretient pas seulement d’intenses relations diplomatiques et commerciales avec l’Arabie saoudite et le Qatar, notre pays porte aussi une responsabilité dans le chaos en Irak et en Syrie. Même si la Belgique n’a pas participé à l’invasion de l’Irak en 2003, elle a été une plaque tournante pour le matériel militaire américain partant en Irak. En 2011, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Steven Vanackere (CD&V), révélait que la Belgique contribuait également à la stratégie américaine du « regime change » en Syrie. Initialement, cela s’est opéré via le Conseil national syrien, un groupe qui a été fondé en Turquie. La Belgique a utilisé ses contacts pour améliorer l’« organisation interne » du Conseil. La Belgique a aussi participé avec enthousiasme aux conférences des Amis de la Syrie, groupe dont font aussi partie des dictatures comme le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui ont rapidement déclaré le Conseil « représentant légitime de tous les Syriens ».

Fin 2012, le gouvernement belge constatait que le Conseil commençait à perdre sa légitimité autoproclamée. Bruxelles a alors reconnu la Coalition nationale syrienne, un groupe d’opposition également créé à l’étranger, comme représentant légitime du peuple syrien. L’ambassadeur syrien a été déclaré persona non grata. Le tout nouveau ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), a admis que ses services collaboraient avec cette opposition. Des groupes comme le Comité national de coordination, un des groupes d’opposition les plus modérés et fondé en Syrie même, sont délibérément oubliés. La Belgique décide donc non seulement qu’il faut un « regime change », mais choisit aussi quel groupe doit gouverner la Syrie.

Le député fédéral PTB Raoul Hedebouw a donc plus que raison lorsque, durant le débat à la Chambre sur les attentats à Paris, il a interpellé Charles Michel sur la nécessité d’agir sur le plan de la politique étrangère de la Belgique : « Si quelque chose a manqué dans votre discours, monsieur le Premier ministre, c’est d’oser aborder ce qui donne une telle puissance à Daech. Je veux parler de sa montée en puissance au Moyen-Orient, qui est sa base arrière. C’est de là que des djihadistes reviennent en Europe pour terroriser nos sociétés. Pour parvenir à bloquer Daech dans son élan, nous devons pouvoir couper toutes ses sources de financement et d’armement, en empêchant que cette organisation vende du pétrole. Cela oblige l’Occident à réexaminer de manière critique ce qu’il a fait dans cette région. Aujourd’hui, nous devons oser pointer du doigt les États-Unis qui, en 2003, ont rasé toute forme de structure étatique en Irak. De plus, les États-Unis y ont eux-mêmes développé une stratégie destinée à diviser la population entre chiites et sunnites. Ce sont les stratèges américains qui l’ont voulu afin de gagner le pouvoir dans la région et de briser toute forme d’unité nationale. Leurs rapports ainsi que ceux du Sénat américain nous le montrent. Nous devons en tirer les leçons. »

Qui compose Daech ?

Daech est dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi. Avec quelques fidèles, ce djihadiste irakien avait préparé l’organisation de Daech alors qu’il était détenu dans un camp de prisonniers américain en Irak. Le fondateur de Daech est le Jordanien Abou Moussab Al-Zarqaoui, qui s’est formé et entraîné en Afghanistan avec les prédécesseurs des Talibans – soutenus à l’époque par les Etats-Unis.

Une grande partie de Daech serait aux mains d’anciens officiers de l’armée irakienne et du parti Baath de l’ancien président irakien Saddam Hussein, chassé du pouvoir par les Etats-Unis en 2003. Ces officiers expérimentés ont apporté la stratégie et la technique militaires à Daech.

Fin 2014, la CIA estimait à environ 30 000 le nombre de combattants de Daech – soit presque autant que les effectifs de l’armée belge. Le chef d’état-major de l’armée russe Valery Guérassimov a quant à lui évoqué 70 000 hommes.

Depuis 2011, 20 000 « combattants étrangers » auraient également rejoint la Syrie et l’Irak, où les groupes terroristes leur paient un plantureux salaire. Le chercheur belge Bilal Benyaich a identifié différentes sortes de combattants partis en Syrie. Certains partent par conviction ou idéologie, d’autres fuient une situation sociale ou économique difficile. Certains ont juste suivi des recruteurs, mais plusieurs sont aussi de vrais criminels qui veulent échapper à la prison en partant en Syrie. La plupart viennent de Tunisie, d’Arabie saoudite, de Jordanie, mais aussi de Russie, de France et d’autres pays européens, dont la Belgique. La Turquie, alliée de l’Otan, a laissé entrer des milliers de djihadistes en Syrie.

De quels moyens dispose Daech ?

De nouveaux documents du groupe terroriste montrent que Daech dépense 5 millions de dollars par mois principalement pour les salaires et l’équipement de ses combattants. Daech a aussi mis sur pied un véritable département financier qui prélève des impôts. Il place des commissaires dans les banques locales afin de percevoir des taxes sur les salaires et les opérations bancaires. Daech vend aussi des œuvres d’art pillées dans les riches sites archéologiques de la Syrie et de l’Irak.

Une partie des revenus est fournie par la vente du pétrole et des céréales produits par les territoires dont Daech s’est emparé. Les importants puits de pétrole syriens se situent en effet dans le territoire occupé par Daech depuis 2014. Dans la province syrienne de Deir Ezzor, riche en pétrole, Daech a ainsi bénéficié de la production de 8 millions de barils entre décembre 2014 et janvier 2015. Les dons privés de richissimes cheiks du pétrole d’Arabie saoudite ou du Qatar, qui arrivent aux groupes terroristes entre autres via le Koweït, jouent également un rôle important. Daech vend son pétrole via des alliés de l’Occident.

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