Elisa, enseignante de morale dans une école primaire, a invité des réfugiés syriens et irakiens dans sa classe. Récit d’une rencontre riche en émotions.
Auteure : Elisa Groppi
« C’est des réfugiés ? » « Mais ils parlent français ? » « Ils sont Syriens ? » Voici quelques unes des réactions des élèves de la classe d’à côté quand ils ont vu nos invités. C’est que la venue de familles de réfugiés au cours de morale a suscité la curiosité de beaucoup, et a été l’occasion d’une belle rencontre placée sous le signe de l’accueil.
En début d’année, le sujet était vif : les enfants m’ont exprimé leur intérêt pour travailler autour de la problématique des réfugiés. Récolte de vêtements, visite du Parc Maximilien, nous ne savions pas trop comment nous impliquer…
C’est Riet Dhont, responsable du groupe Amitié sans frontières, qui a évoqué l’idée : « Nous pouvons venir chez vous pour que les élèves et les réfugiés se rencontrent. » Nous avions notre projet !
Certains élèves se sont renseignés dans la presse : qui sont ces réfugiés ? D’où viennent-ils ? Pourquoi quittent-ils leur pays ? D’autres ont préparé des questions : quels pays avez-vous traversés ? Pourquoi avoir voulu venir en Belgique ? Comment s’est passé votre voyage ? Mais aussi des questions plus dures : avez-vous vu votre maison être détruite ? Avez-vous perdu un proche ? Avez-vous eu peur ?
Les questions étaient prêtes, il ne manquait plus que nos invités. Pour cela, nous avons pu compter sur Riet, François et Christiane, tous membres d’Amitié sans frontières, qui ont transmis notre invitation et organisé la rencontre. Erik, le père d’un élève, s’est proposé pour faire la traduction.
« Entre adultes, on s’échange un regard glacé »
Quelle excitation cette matinée-là ! Les élèves sont très touchés, très attentifs. Nous recevons d’abord Ali, un jeune Syrien de 28 ans. Ali a traversé l’Europe à pied, en bus, en bateau. Cela lui a mis un mois et demi et il est heureux et soulagé d’être arrivé à destination. Il est papa d’un petit Youssef qu’il n’a pas encore rencontré, car il a dû partir avant sa naissance, il y a deux mois. Il espère obtenir son statut bientôt, afin de pouvoir faire venir sa femme et son fils.
Après la récréation, avec un autre groupe d’élèves, nous rencontrons deux familles. Isabelle et sa fille Melissa, sont Syriennes. Melissa est épatante : à 16 ans, elle parle quatre langues et s’exprime directement en français sans traducteur. Elle nous raconte que son frère a été enlevé, qu’elle n’a plus de contact avec lui depuis. Elle ne sait même pas s’il est encore vivant. Devant ces récits, les élèves sont émus, choqués. Entre adultes, on s’échange un regard glacé. Nos jeunes seront-ils capables de supporter émotionnellement toutes ces histoires ?
Plus discret devant la classe, le petit Mohammed. Il a douze ans : l’âge de mes élèves. Il est venu d’Irak avec son papa Ahmed, un monsieur très élégant, très courtois. Après avoir séjourné trois ans en Turquie, ils ont eux aussi entrepris un long voyage pour atteindre la Belgique. La timidité de Mohammed disparait rapidement lorsqu’il aborde ses passions avec les élèves : le foot et le dessin. Le plus dur, pour lui, ce sont les changements d’école. Il a dû apprendre le turc, et aujourd’hui il doit s’intégrer dans une école néerlandophone. Celle-ci n’accueille d’ailleurs que des réfugiés, et Mohammed regrette de ne pas avoir plus de contacts avec des enfants belges.
« On peut leur dire bonjour ? »
Le projet aboutira à un livre, une compilation de témoignages des personnes que nous avons invitées et interrogées sur leurs parcours. Les élèves sont enthousiastes : l’expérience a été riche. On voudrait en faire encore, apporter un petit déjeuner, rendre visite aux centres d’accueil…
Il est midi, il sonne. Nous offrons une soupe et une petite collation. À midi trente, les élèves qui mangeaient dans les autres classes passent devant la nôtre et voient nos invités : « On peut entrer leur dire bonjour ? ». L’ambiance est gaie, c’est plus informel. Melissa n’a pas une minute à elle. Un cercle s’est formé autour d’elle et tout le monde est pendu à ses lèvres. On demande à Mohammed de dessiner… Il n’y a plus aucune frontière qui compte.