L’Union européenne enferme et renvoie ceux qui fuient Daesh et la guerre

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Les dirigeants européens ont trouvé un accord avec la Turquie afin de renvoyer chez elle tous les réfugiés arrivant de Grèce. Un accord inhumain, illégal et qui va surtout profiter aux passeurs contrairement à ce qu’affirme la chancelière allemande Angela Merkel.

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Auteur : Max Vancauwenberge

Dans l’émission « Terug naar eigen land » diffusée en ce moment sur Vier, nous pouvons voir plusieurs politiciens et de personnalités connues effectuer la « route des réfugiés » depuis leur pays d’origine jusqu’en Europe. Zuhal Demir, députée N-VA et participante à l’émission, y rencontre la petite Misara et sa famille. Ils ont fui la guerre en Syrie et sont actuellement dans un camp de réfugié depuis 3 ans. Misara, 6 ans, veut devenir docteure. Mais ses parents n’ont pas les moyens financiers de payer les passeurs pour atteindre l’Europe et ne savent plus quoi faire pour sortir leurs enfants de ce camp sans aucun avenir.

Il est possible de payer la traversée en donnant un rein

Le père explique que certains passeurs travaillent à présent avec des trafiquants d’organes. Il est possible de payer la traversée en donnant un rein, continue-t-il, se tenant la tête entre les mains. Le père ira-t-il jusqu’à donner un rein pour espérer offrir un avenir à sa fille ? L’émission ne nous le dira pas, mais voilà le genre de questions auxquelles sont confrontées les familles aujourd’hui dans les camps de réfugiés. Zuhal Demir a beau avoir les larmes aux yeux lorsqu’elle écoute l’histoire de certains réfugiés qu’elle rencontre dans les camps, cela n’empêchera pas son parti de se réjouir de voir l’Europe appliquer une politique de « pushback » consistant à bloquer les réfugiés dans ces camps avec l’accord conclu ce 17 et 18 mars.

Inhumain et illégal

Le plan pour arrêter l’arrivée des réfugiés en Europe, décidé en comité restreint par la chancelière allemande Angela Merkel, le président néerlandais du Conseil de l’Union européenne Mark Rutte et le premier ministre turc Ahmet Davutoglu à la veille du précédent sommet européen le 7 mars, vient d’être conclu ce jeudi et vendredi 17 et 18 mars. « Cet accord respectera l’ensemble des normes européennes et internationales »1 continue Juncker, président de la Commission européenne, même si ni l’ONU ni les ONG qui dénonçaient l’illégalité du pré-accord n’auront cependant pas été entendus par les dirigeants européens.

L’accord prévoit que chaque personne arrivant en Grèce depuis les côtes turques sera renvoyée en Turquie.

Ce nouvel accord consiste à transformer les îles grecques en centre d’enregistrement pour les quelques 2 000 réfugiés par jour qui continuent d’arriver. Une fois dans ces centres, les réfugiés pourront déposer leur demande d’asile qui suivra une procédure accélérée d’une dizaine de jours au maximum contre une durée normale de plusieurs mois comme c’est le cas en Belgique. En réalité, si la procédure peut aller si vite, c’est parce que l’accord prévoit que chaque personne arrivant en Grèce depuis les côtes turques sera renvoyée en Turquie. Comme l’explique John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International, il ne s’agit de rien de plus que de « procédures cache-misère »2 qui ont pour seul objectif de répondre à la levée de boucliers que l’évocation de la mise en place d’une politique de push-back avait provoqué la semaine passée parmi les associations des droits de l’Homme et qui a entrainé de nombreux rassemblements de solidarité à travers l’Europe. Pour Amnesty en effet, « l’Europe prépare des expulsions collectives de réfugiés vers la Turquie »3. Ces centres d’enregistrement ont par ailleurs la particularité d’être entourés de barbelés et de gardes pour empêcher les réfugiés de s’en aller mais le chancelier autrichien a cependant tenu à préciser qu’« il ne s’agit pas de prisons »4.

La Turquie ne peut pas être considérée comme un “pays tiers sûr” au sens même du droit européen.

Si chaque réfugié peut aujourd’hui être renvoyé en Turquie, c’est parce que l’accord prévoit que cette dernière est à présent considérée comme un pays sûr pour les réfugiés. Ils n’y ont cependant toujours pas d’accès au marché du travail et des centaines de milliers d’enfants n’y vont plus à l’école. De nombreux mineurs travaillent d’ailleurs illégalement et sans aucun droit. Un retour tout droit vers le 19e siècle. « La Turquie […] n’offre qu’un statut de “réfugié conditionné” pour les non-européens, pratique le refoulement envers les Syriens bloqués à la frontière et ne respecte pas les droits fondamentaux des réfugiés sur son sol. La Turquie ne peut clairement pas être considérée comme un “pays tiers sûr” au sens même du droit européen », considère ainsi le Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers). Les dirigeants européens ont également balayé le rapport accablant d’Amnesty International publié en décembre dernier qui accusait l’Union européenne de se rendre complice de graves violations des droits humains. Les centres « d’accueil » financés par l’UE en Turquie seraient en fait des centres de détention où des centaines de réfugiés sont détenus illégalement et dans le plus grand secret, sans aucun moyen de prévenir leurs familles. Certains auraient été menottés pendant des jours, frappés et ensuite reconduits de force dans le pays qu’ils avaient fui. Interrogée par la presse, la Commission avait affirmé « en prendre note » et promis d’étudier la question.5 « Nous avons déjà exposé le fait que les autorités turques ont détenu et maltraité des gens en les mettant dans des camps financés par l’UE. Personne n’a rien dit. Au contraire, on leur confie plus de monde. L’idée est : ‘ce n’est pas en Europe, donc il n’y a pas les mêmes obligations ni un mécanisme de contrôle, donc on s’en fout’ », fustige M. Hensmans d’Amnesty.6

Les bénéfices des passeurs augmentent en même temps que les murs

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie prévoit également que pour chaque réfugié syrien renvoyé depuis les îles grecques en Turquie, un réfugié syrien sera accueilli en Europe depuis la Turquie. C’est le principe du « un pour un ». A travers cet accord, « nous voulons casser le modèle d’affaire des passeurs »7, explique la chancelière allemande Angela Merkel, affirmant que les réfugiés arrêteront de tenter la traversée en mer si ils peuvent accéder en Europe de manière sûre et légale.

Le 22 septembre dernier, l’Union européenne promettait de répartir 160.000 réfugiés entre les États-membres mais n’en a finalement réparti que… 969.

Un vœu pieux car ce principe du « un pour un » possède un plafond de… 72.000 réfugiés, et n’est valable que pour les syriens. Rien qu’en janvier 2016, près de 70.000 réfugiés étaient déjà arrivés en Grèce et 90 % d’entre eux étaient de nationalité syrienne, irakienne ou afghane. En 2015, rien que le nombre de réfugiés syriens arrivés en Europe était de 376.692.8 Cet accord sur 72.000 réfugiés n’est par ailleurs même pas contraignant et on ne voit pas pour quelles raisons il serait mieux respecté que les accords précédents. En juillet 2015, l’Union européenne avait ainsi déjà promis d’accueillir 22.000 réfugiés directement depuis la Turquie mais n’en a accueilli que 4.555 jusqu’ici. Le 22 septembre dernier, l’Union européenne promettait de répartir 160.000 réfugiés depuis la Grèce et l’Italie entre les différents États-membres mais n’en a finalement réparti que… 969 jusqu’à aujourd’hui.9

Loin de mettre fin aux passeurs, cet accord risque au contraire de leur permettre de faire encore plus de bénéfices. En bloquant les routes les plus faciles, les réfugiés seront simplement obligés de prendre d’autres routes plus chères et plus dangereuses. Le commandant de la mission des navires de l’OTAN actuellement actifs en Mer Egée, Jörg Klein, admet ainsi que « si nos navires barrent la route de Lesbos, nous devons nous attendre à ce que la vague de migrants trouve une autre voie », précisant que les passeurs ont la géographie à leur avantage avec une côte turque longue de 7.200 kilomètres qu’il est impossible de contrôler.10 De plus, la fermeture de la route des Balkans entre la Macédoine et la Grèce a également pour effet que des réfugiés tentent à nouveau d’entrer en Europe via l’Italie en partant de la Libye. Alors que les dirigeants européens pensaient que cette route était morte, 3.000 réfugiés ont dû y être secourus la semaine passée, témoignant la réactivation de cette route.11

Ce nouvel accord européen court droit vers un nouvel échec. Il est illusoire de penser que des murs vont arrêter un père qui pense à donner un rein pour offrir un avenir à sa fille. Ces murs et ses barbelés ne font qu’augmenter les bénéfices des passeurs qui continueront à exploiter le désespoir de ces familles.

L’arrêt de la guerre et une Taxe Tobin pour arrêter la crise des réfugiés

Aucune solution à la crise des réfugiés ne sera viable sans s’attaquer aux causes de cette crise. Le premier pays d’origine des demandeurs d’asile en Europe est la Syrie. Un pays touché par une guerre sanglante depuis plusieurs années qui a déjà causé la mort de 260.000 syriens. Seule une conférence régionale pour la paix sous l’égide de l’ONU peut mettre fin à ce conflit. Une telle solution est ce qui avait permis de mettre un terme à l’un des plus longs conflits les de l’histoire récente du Moyen-Orient, la guerre civile au Liban (1975-1990). Après 15 ans de combats entre des groupes armés politiques, religieux et ethniques, qui ont fait 150.000 morts, c’est l’accord – certes très discutable – de Taïf qui a mis fin à la guerre, malgré un fossé très profond entre les parties combattantes. Après plus de quatre ans de guerre en Syrie, toutes les parties combattantes ont du sang sur les mains. Et en grande quantité. Néanmoins, il va falloir discuter avec tous les acteurs locaux pour parvenir à la paix et stopper Daesh, qui profite du chaos actuel. C’est ce processus de paix que notre pays doit soutenir de toutes ses forces. Seule le retour de la paix dans la région mettra fin à la crise des réfugiés.

62 personnes possèdent aujourd’hui autant que la moitié du reste de l’humanité.

Un corridor humanitaire depuis la Turquie doit être mis en place afin de permettre aux réfugiés de venir légalement et de manière sécurisée en Europe. Les réfugiés doivent être répartis dans l’ensemble des États européens sur base de leur situation démographique et socio-économique en tenant compte au maximum des préférences des réfugiés. La répartition doit se faire sous supervision de l’UNHCR tandis que le coût de l’accueil des réfugiés par chaque État-membre doit être équitablement répartis au sein de l’Union européenne.

Afin de financer l’accueil des réfugiés et éviter que cela représente une charge de plus pour le contribuable, nous proposons de mettre en place une taxe Tobin sur la spéculation au niveau européen. Cette taxe s’attaquerait à ceux spéculent sur le pétrole, sur les denrées alimentaires, et qui conduisent à ce que 62 personnes possèdent aujourd’hui autant que la moitié du reste de l’humanité. Dix pays européens ont déjà affirmé qu’ils seraient d’accord de mettre en place une telle taxe au niveau européen. Cette taxe Tobin serait un premier pas vers l’Europe de la solidarité que nous voulons construire plutôt que l’Europe des murs et des barbelés de Bart De Wever et co.

1. La Libre, 19 mars 2016 • 2. http://www.amnesty.be/je-veux-m-informer/actualites/article/des-procedures-cache-misere-pour-des-expulsions-collectives • 3. http://www.amnesty.be/je-veux-m-informer/actualites/article/des-procedures-cache-misere-pour-des-expulsions-collectives • 4. De Morgen, 19 mars 2016 • 5. Le Soir, 18 novembre 2015 • 6. L’Echo, 19 mars 2016 • 7. La Libre, 19 mars 2016 • 8. Chiffres Eurostat • 9. Chiffres Commission européenne • 10.L’Echo, 19 mars 2016 • 11. Le Soir, 19 mars 2016.

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