La Commission européenne veut réformer sa politique migratoire afin de mieux pouvoir sélectionner les migrants qui viennent en Europe. Seuls ceux qui conviennent à nos multinationales pourront entrer, les autres seront bloqués dans leur région d’origine. Un « changement de mentalité et d’approche », selon la Commission.
Auteur : Maxime Vancauwenberge
Parquer les réfugiés en dehors de l’Europe
La Commission souhaite obliger les pays-tiers à empêcher les réfugiés de se rendre en Europe, sur le modèle de l’accord avec la Turquie. 8 milliards d’euros d’ici 2020 sont prévus afin de permettre de financer des projets concrets afin que ces pays soient capables d’accueillir les réfugiés et… de les contenir en renforçant leurs dispositifs sécuritaires.
Une promesse de 8 milliards qui risque d’ailleurs de ne jamais se matérialiser. Lors du sommet de la Valette en novembre 2015, les États-membres avaient ainsi déjà promis de fournir 1,8 milliard afin que les États africains endiguent l’afflux de réfugiés. Une année plus tard, seulement 82 millions ont été versés.1 Par contre, les États qui refuseront de conclure un pacte avec l’UE ou dont les résultats seront jugés insuffisants seront sanctionnés : l’aide au développement et des accords commerciaux pourraient ainsi être menacés. Une pratique qui ressemble fort à du chantage.
Refoulements en zone de guerre2, mauvais traitements3, emprisonnements illégaux, tirs sur des réfugiés4, un demi million d’enfants non scolarisés et autant qui travaillent déjà illégalement : les nombreux rapports des ONG ont pourtant montré la véritable nature de l’accord entre l’UE et la Turquie. Pour notre secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Théo Francken (N-VA), il s’agit cependant d’un « pari gagnant »5 qui permet d’empêcher les réfugiés syriens, irakiens et afghans de venir en Europe. Le président du Conseil Européen, Donald Tusk, en visite en Turquie le 23 avril dernier en compagnie de la chancelière allemande Angela Merkel et du vice-président de la Commission Frans Timmermans, déclarera quant à lui que « la Turquie est le meilleur exemple du monde ».6 La N-VA est à présent très satisfaite que la Commission européenne veuille à présent appliquer le même type d’accord avec d’autres pays.
De Frontex à Super-Frontex pour surveiller les frontières
La Commission souhaite également mettre en place une nouvelle Agence européenne des garde-côtes et des gardes-frontières qui remplacera l’agence de coordination des frontières actuelle, Frontex, afin de renforcer la surveillance des frontières.
Frontex, qui compte 309 personnes7, est accusée par de nombreuses ONG de refouler les migrants qui tentent de venir en Europe. Cette organisation quasi militaire intercepte les migrants en mer et les renvoie vers leur pays d’origine, même si c’est une dictature, même si les migrants y sont menacés de persécutions, de mauvais traitements ou de mort.
L’Agence européenne des garde-côtes et des gardes-frontières qui doit remplacer Frontex sera composée de beaucoup plus d’hommes, de moyens et de compétences. Une sorte de « super-Frontex » en somme. Elle sera composée de 1 000 personnes, en plus d’une réserve de 1 500 personnes en cas de besoin, et pourra intervenir dans n’importe quel État-membre afin de « sécuriser » ses frontières extérieures, même contre la volonté des États.
Les États-membres de l’UE refusent par ailleurs que cette agence effectuent des missions de sauvetage en mer, malgré les noyades qui se multiplient. Depuis 2014, 10 000 migrants ont perdu la vie en Méditerranée. Cette année, 2 443 personnes ont déjà trouvé la mort en tentant d’atteindre l’Europe, soit 34 % de plus qu’en 2015 à la même période.8 Les États craignent en effet que ces missions ne créent un « effet d’attraction »9 comme Bart De Wever qui affirmait en novembre dernier que les missions de sauvetage constituaient une très forte « incitation à risquer sa vie ».10 Or, l’UE veut absolument décourager les migrants à tenter de venir en Europe.
Voler les cerveaux du sud
Le jour même où la Commission européenne proposait de renforcer la « forteresse Europe contre les migrants », l’UE présentait également sa réforme de la directive « carte bleue ». Il s’agit d’une directive européenne mise en place en 2009 avec pour objectif de faciliter l’immigration en Europe de migrants hautement qualifiés. « Seuls 31 % des migrants dotés de compétences élevées choisissent l’UE comme destination parmi les pays de l’OCDE ; autrement dit, les travailleurs étrangers qualifiés se dirigent plutôt vers des pays qui sont en concurrence avec l’Union européenne sur le plan économique », explique la Commission.11 La réforme a donc pour but d’améliorer la capacité de l’UE a attirer les migrants hautement qualifiés, en rendant la « carte bleue » plus attrayante pour les migrants.
La volonté de la Commission d’attirer les migrants hautement qualifiés est une orientation à l’œuvre au sein de l’UE depuis plusieurs années. Dans le « Programme d’action relatif à l’immigration légale »12 datant de 2005, nous pouvons y lire que « au cours des dernières décennies, les flux migratoires ont fortement progressé » à cause des « écarts économiques » entre les régions du monde mais également à cause « de problèmes et instabilité politique ». Voilà pourquoi l’UE souhaite « gérer efficacement les flux migratoires » pour « répondre aux besoins actuels et futurs du marché du travail et ainsi assurer la pérennité de l’économie et de la croissance ». En clair, de nombreuses personnes fuient à cause de l’instabilité économique et politique dans leur pays, mais l’UE veut pouvoir sélectionner uniquement ceux qui conviennent aux besoins des entreprises. Une orientation partagée en Belgique par le président de la N-VA, Bart De Wever, qui se plaint que « l’Europe […] compte un très grand groupe de migrants passifs, qui viennent dans le cadre […] de l’asile » et qu’il aimerait au contraire pouvoir les sélectionner en fonction de leur plus-value économique.13
Avec ces trois réformes, la Commission européenne met en place une « Europe forteresse » pour les migrants qui fuient les persécutions et la guerre et une Europe « attrayante » pour les migrants hautement qualifiés. Bref, une politique de migration choisie au service des multinationales.