Les juges ont-ils ouvert les portes de l’Europe ?

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Dans la foulée de l’affaire du visa que Francken refuse de délivrer à la famille syrienne, la N-VA en profite pour pointer les « juges déconnectés de la réalité » comme responsables de la crise des réfugiés. Une manœuvre qui ressemble fort à de la diversion pour ne pas en aborder les véritables causes de la crise des réfugiés.

Auteur : Max Vancauwenberge

Lire dans Solidaire.

C’est en particulier une décision prise en 2012 – l’arrêt Hirsi Jamaa contre Italie de la Cour Européenne des Droits de l’Homme – qui aurait « ouvert les portes de l’Europe », dixit Bart De Wever sur Terzake le 9 décembre dernier. Cet arrêt a interdit à l’Italie de pratiquer le « pushback », c’est-à-dire de refouler des réfugiés en pleine mer sans leur permettre de déposer une demande d’asile en Europe. Pour le président de la N-VA, en prenant cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a pas appliqué, mais réécrit le droit, ce qu’il appelle de « l’activisme judiciaire ».

Les juges responsables de la crise des réfugiés ?

6 mai 2009. Hirsi Jamaa, 25 ans, vient d’être intercepté en pleine mer par la marine italienne. Fuyant les persécutions en Somalie, il tentait de rejoindre l’Italie par la Méditerranée en compagnie d’autres réfugiés sur une petite embarcation. Les militaires italiens ne procèdent à aucune identification et ne vérifient pas si certains des réfugiés sont malades, blessés ou s’il y a parmi eux des femmes enceintes, des enfants non-accompagnés ou des victimes de trafic. Hirsi Jamaa et ses compagnons d’infortune croient cependant que la marine italienne les conduit vers l’Italie où ils pourront déposer leur demande d’asile. À tort. Lorsque Hirsi se rend compte qu’on le reconduit vers la Libye, il supplie les militaires italiens de ne pas les débarquer au port de Tripoli. Rien n’y fait : la marine italienne les a remis par la force aux autorités libyennes.

Le sort réservé aux migrants en Libye – mis en détention dans des prisons surpeuplées, mauvais traitements, torture, renvois en zone de guerre – est pourtant déjà bien documenté par Human Right Watch, Amnesty International ainsi que le HCR et connu des autorités italiennes.

Vingt-quatre de ces réfugiés saisissent la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en contactant un avocat depuis la Libye. L’affaire mettra 3 ans à être jugée. Entre temps, 2 d’entre eux seront décédés tandis que 3 autres sont portés disparus. La Cour jugera, à l’unanimité des 16 juges, que l’article 3 de la CEDH a été violé. Selon cet article, « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, en renvoyant les réfugiés en Libye malgré la connaissance qu’avaient les autorités italiennes de la situation, l’Italie n’a pas respecté cet article.

Les juges n’ont pas réécrit le droit comme le prétend Bart De Wever. Ils l’ont seulement appliqué. L’interdiction de pushback – c’est-à-dire renvoyer des réfugiés sans prendre en compte leur demande d’asile – est d’ailleurs au fondement même de la Convention de Genève relative au statut de réfugié : « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

Par ailleurs, soit dit en passant, il est difficile de faire le lien entre l’augmentation du nombre de réfugiés en Europe et cette décision prise en 2012 comme tente de le faire la N-VA. L’augmentation du nombre de réfugiés en Europe a en effet commencé en 2014 et surtout en 2015. Le lien avec une décision de justice prise 3 années plus tôt est plus que douteux et permet surtout d’éviter de poser la question de la responsabilité européenne doit la situation dans laquelle se retrouve les réfugiés.

Un enfant réfugié doit-il aller à l’école ?

« Opvang in de regio », « opvang in de regio », « opvang in de regio » (accueil dans la région) ne cessent de répéter en choeur les Francken & co. Comme si ce n’était déjà pas le cas ! La Turquie accueille presque 3 fois plus de réfugiés que l’ensemble des États-membres de l’UE. Le Liban – 4.5 millions d’habitants – accueille 1,5 million de réfugiés, soit autant que l’Europe.

La grande majorité des réfugiés ne veulent pas venir en Europe. Ils souhaitent en effet rester dans leur région, en attendant la fin de la guerre, afin de pouvoir ensuite retourner dans leur pays. Mais ce qui a poussé autant de réfugiés à tenter la dangereuse traversée de la Méditerranée pour venir en Europe, c’est la situation intenable dans laquelle ils étaient accueillis. Manque d’accès aux soins de santé, pas d’accès au marché du travail, pas d’école pour les enfants… Riet D’Hondt, d’Amitié Sans Frontières, s’est rendue en mai dernier en Turquie afin de pouvoir observer dans quelles conditions y étaient accueillis les réfugiés : « Ils n’ont pratiquement aucun droit en Turquie. Pour survivre, les femmes et les enfants travaillent toute la journée à la maison pour fabriquer des petites boîtes en plastique avec des bonbons et des pinces à cheveux. Ce sont des enfants de 3 à 7 ans », explique Riet.

Comme l’explique la directrice de Vluchtelingwerk Vlaanderen, Charlotte Van Dycke, « L’accueil dans la région est en principe une excellente idée, mais uniquement si on peut garantir la sécurité »1. Cela fait des années que le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, réclame plus de fonds pour pouvoir accueillir les réfugiés dans des conditions convenables, mais que l’UE ne remplit pas ses promesses en termes de soutien financier. « L’accueil, l’éducation et les soins forment depuis longtemps déjà un problème », explique le HCR. Un enfant peut-il se rendre à l’école ? Tant que la réponse sera non à cette question, des gens tenteront l’impossible pour venir en Europe.

Peut-on mettre fin à la crise des réfugiés ?

« Nous ne sommes pas venus en Europe pour profiter des services sociaux ou voler les emplois. Nous fuyons la guerre et essayons de reconstruire nos vies à partir de rien », explique Nujeen Mustafa, 17 ans, qui a fui la Syrie pour l’Allemagne l’année passée et vient de publier un livre à ce propos avec l’aide de la journaliste britannique Christina Lambs.2 La grande majorité des réfugiés arrivés en Europe l’année passée provenaient de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Trois pays détruits par la guerre et pour lesquelles la Belgique et d’autres États-membres de l’UE portent une responsabilité en ayant bombardé ces pays. Mais de notre politique étrangère, la N-VA ne parle jamais lorsqu’il est question des réfugiés. Steven Vandeput, notre ministre de la Défense (N-VA), souhaite d’ailleurs acheter de nouveaux avions de chasse à hauteur de 9 milliards d’euros. Tant que cette politique étrangère ne sera pas remise en cause, les crises des réfugiés ne cesseront pas.

Ensuite, l’accueil dans la région doit être soutenu à la hauteur des besoins. La majorité des réfugiés veulent en effet retourner dans leur pays après la guerre et aimeraient pouvoir rester dans la région en attendant.

Enfin, c’est également l’absence de perspective légale et sûre de venir en Europe qui a poussé autant de gens à venir « illégalement » en traversant la Méditerranée. Rien que cette année, 4715 personnes se sont déjà noyées en tentant d’atteindre l’Europe par la mer. Si vous savez qu’il existe des possibilités légales de venir en Europe, plus personne ne tentera de le faire en risquant de se noyer. En juillet 2015, l’UE s’est engagée à ouvrir une voie légale et sûre permettant aux réfugiés de venir en Europe. Mais alors que la Turquie accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés et le Liban 1,5 million, les 32 États-membres ou associés de l’UE se sont engagés à en accueillir…22.500 en deux ans, soit, même pas 1 % des réfugiés accueillis rien que par la Turquie. À l’heure actuelle, seules 13.887 personnes ont effectivement été accueillies. De véritables possibilités légales et sûres de venir en Europe pour les réfugiés, couplées à un plan de répartition entre les États-membres au niveau européen, sont nécessaires pour mettre fin au travail des enfants, aux mauvais traitements et aux noyades.

1De Morgen, 13 décembre 2016

2 De Morgen, 16 décembre 2016

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