Réfugiés : l’UE sous-traite le sale boulot à la Libye

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Lors du sommet de Malte de ce 3 février, les dirigeants européens ont décidé de sous-traiter le refoulement (« pushbacks ») des réfugiés aux gardes-côtes libyens, malgré les nombreux rapports des ONG. Pour Médecins sans frontières, « le sommet de Malte n’avait pas pour but de sauver des vies. L’UE s’apprête à sacrifier des personnes vulnérables afin de les empêcher d’atteindre l’Europe ».

Auteur : Max Vancauwenberge

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Le vendredi 3 février, les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’UE, le président du Conseil européen Donald Tusk, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ainsi que la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Morgherini se réunissaient à Malte. L’un des objectifs de ce Conseil européen était de définir la stratégie à adopter envers la question migratoire, en particulier concernant la route migratoire Libye-Italie.

« Comme des chiens en Libye »

« Comme noirs, nous n’avons pas de libertés en Libye, nous n’avons pas de droits. Nous sommes comme des animaux, comme des chiens, là en Libye. Nous ne sommes rien là-bas. C’est pour ça qu’on prend le risque de prendre la mer, de traverser la Méditerranée. On m’a arrêté lorsque je tentais de traverser et on m’a envoyé en prison en Libye. C’est l’Europe qui finance ça. L’UE a dit de ne pas torturer, de nous donner des habits, de nous donner à manger, de donner un peu d’argent. Mais ils ne nous donnent pas d’argent, pas d’habits et puis ils nous frappent chaque jour. On ne mange pas. Et si tu veux sortir, tu payes. Sinon tu vas mourir là-bas. J’ai un ami qui est venu en Libye avec sa femme. Sa femme a été violée là-bas. Par des gens, des bandits, la police… Maintenant, en Libye, tu ne sais plus qui est qui. Même les enfants ont des armes. Des enfants de l’âge de 17, 12, 10 ans ont des armes. Moi je ne retournerai jamais en Libye. »1

Photo UE

Ces propos d’Abu Bakar, un migrant originaire du Mali, sont confirmés par l’équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) actuellement à Tripoli, en Libye, depuis juillet 2016. Les gens y sont détenus arbitrairement, dans des conditions inhumaines sans nourriture et sans eau en suffisance avec un manque d’accès à des soins médicaux. Chaque semaine, MSF soigne environ 500 personnes victimes d’infections respiratoires, de diarrhées aiguës et d’infections urinaires. Des problèmes liés aux conditions de détention. Amnesty International rapporte également de nombreux témoignages d’abus sexuels, d’exploitation et de torture des réfugiés en Libye. L’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a aussi publié un rapport à propos des violations des droits de l’Homme dont son victimes les réfugiés en Libye, décrit comme « un enfer » par ces derniers. Le rapport fait état de détention arbitraire, torture, viols, meurtres et travail des enfants. (Télécharger le PDF ici)

« L’UE s’apprête à sacrifier des personnes vulnérables »

A l’heure actuelle, les bateaux de l’opération navale « Sophia » de l’UE, ceux des gardes-côtes italiens ainsi que des ONG patrouillent dans les eaux internationales et sont chargés de rapatrier les réfugiés sauvés en Italie. Les dirigeants européens affichaient cependant leur pleine et entière satisfaction dans la matinée de vendredi 3 février d’avoir trouvé une solution pour couper la route de la Méditerranée centrale aux réfugiés. Concrètement, les Vingt-Huit vont « former, équiper et soutenir les gardes-côtes nationaux libyens » qui seront chargés de « démanteler le modèle économique des passeurs »2 et de mener des missions de recherche et de sauvetage pour ramener les réfugiés qui tentent d’atteindre l’Europe en Libye et non plus en Europe.

L’Italie a pourtant déjà été condamnée pour avoir refoulé des réfugiés somaliens en 2009, parmi lesquelles Hirsi Jamaa, dont l’arrêt de la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) interdisant à l’Italie de pratiquer le « pushback », c’est-à-dire de refouler des réfugiés en pleine mer sans leur permettre de déposer une demande d’asile en Europe, porte son nom. Le sort réservé aux migrants en Libye – mis en détention dans des prisons surpeuplées, mauvais traitements, torture, renvois en zone de guerre – est en effet déjà bien documenté par Human Rights Watch, Amnesty International ainsi que le HCR et connu des autorités italiennes au moment des faits. La Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) jugera que l’article 3 de la CEDH a été violé. Selon cet article, « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, en renvoyant les réfugiés en Libye malgré la connaissance qu’avaient les autorités italiennes de la situation, l’Italie n’a pas respecté cet article. Un arrêt décrié par le secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations, Théo Francken, qui « rend les pushbacks impossible » et rend « une politique d’asile efficace […] difficile ».3

Selon Philippe De Bruycker, professeur à l’Institut d’études européennes et à la faculté de droit de l’ULB, « les Européens vont tenter de s’arranger, en les finançant, pour que ce soit les autorités libyennes qui, sous prétexte de secourir ces personnes, les interceptent et les ramènent en Libye. De cette manière, les Européens ont les mains propres. Il sera complexe de mettre leur responsabilité juridique en cause ».4 Loin donc des « wereldvreemde rechters » (que l’on pourrait traduire par des « juges déconnectés de la réalité »), dixit la N-VA, qui veulent que les droits de l’Homme soient respectés.

« Soyons clair, écrit Médecins Sans Frontières sur Twitter, le sommet de Malte n’avait pas pour but de sauver des vies. L’UE s’apprête à sacrifier des personnes vulnérables afin de les empêcher d’atteindre l’Europe ».

 

1.Vidéo de MSF Sea à voir ici • 2. Déclaration de Malte par les membres du Conseil européen concernant les aspects extérieurs des migrations : remédier à la situation le long de la route de la Méditerranée centrale, la Valette, 3 février 2016 • 3. De Standaard, 10 décembre 2016 • 4. La Libre, 3 février 2017

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