Lorsqu’une personne est exposée à des risques de torture ou à des traitements inhumains, un État doit-il lui octroyer un visa humanitaire ou peut-il la laisser souffrir ? La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sous pression de la Commission et des États-membres de l’UE, s’est déclarée incompétente en la matière. La question reste donc ouverte.
Maxime Vancauwenberge
La question était posée par des juges belges confrontés à une famille Syrienne de confession chrétienne orthodoxe vivant à Alep. Le père de cette famille avec trois enfants en bas âge avait déjà été torturé par un groupe terroriste, avant d’être libéré en échange d’une rançon. La famille avait ensuite déposé une demande de visa humanitaire dans une ambassade belge afin d’obtenir une protection internationale. La Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, Malte, la Tchéquie, l’Estonie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Commission européenne se sont tous prononcés contre le fait de devoir accorder un visa humanitaire lors de l’audience le 30 janvier dernier. L’un après l’autre, chaque État est intervenu pour répéter les mêmes arguments et faire ainsi pression sur la Cour, en lui proposant de se déclarer incompétente.
Le secrétaire d’État à l’Asile, Theo Francken (N-VA), estime avoir gagné sur le fond mais ce n’est pas le cas. La CJUE a « simplement » affirmé qu’un visa d’asile ne pouvait pas être obtenu via un visa court-séjour (compétence européenne). La CJUE renvoie de cette manière la balle à chaque État (et potentiellement vers de nouvelles procédures judiciaires) pour répondre à la même question : un État est-il obligé de délivrer un visa long-séjour (compétence nationale) à une personne exposée à la torture ou à d’autres traitements inhumains afin que cette personne puisse demander l’asile en Europe ?
Risque de perdre le contrôle de nos frontières ?
L’arrivée de « centaines de milliers de réfugiés » ou de « potentiellement 60 millions de réfugiés » dont parlait Theo Francken ce week-end sur VTM en cas de décision positive ne correspondait pas à la réalité. Un visa ne serait accordé uniquement « lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un refus exposera des personnes en quête de protection internationale à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants ».1 Comme l’explique Dirk Vanheule, spécialiste du droit des étrangers de l’université d’Anvers, provenir d’un pays en guerre n’aurait pas suffit pour obtenir un visa. Chaque personne aurait dû prouver qu’elle était exposée à la torture ou des traitements inhumains ou dégradants.
L’UE choisit de bafouer les droits humains
Lors de l’audience le 30 janvier dernier, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, Malte, la Tchéquie, l’Estonie, la Pologne, la Slovaquie ainsi que la Hongrie de l’ultra-nationaliste Viktor Orban se sont tous prononcés contre le fait de devoir accorder un visa humanitaire. La Commission européenne est également intervenue aux côtés des 13 États-membres pour s’y opposer.
Il est indiqué dans le traité de l’UE, que l’Union « est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine […] ainsi que le respect des droits de l’homme » et a « pour but de promouvoir […] ses valeurs », y compris dans ses relations avec le reste du monde. Mais lors de l’audience, aucun des 13 États n’a évoqué ces valeurs, ni même la situation dans laquelle est plongée cette famille syrienne. L’un après l’autre, chaque État est intervenu pour répéter les mêmes arguments et faire ainsi pression sur la Cour, en lui proposant de se déclarer incompétente en la matière. C’est finalement l’option que la Cour à choisi de suivre.
En Belgique, Francken proposait par ailleurs de ne pas respecter cette décision dans le cas où celle-ci aurait été positive. Il envisageait de fermer tout simplement les bureaux de demandes d’asile dans les ambassades. Au niveau européen, une modification de la loi afin de rendre l’arrêt caduc était à l’étude.
Contre la Convention de Genève
Dans son préambule, la Convention de Genève indique qu’aucun pays ne saurait faire face seul à une crise de réfugiés et qu’une solidarité de la communauté internationale est indispensable. C’est pourquoi les pays comme le Liban (4 millions d’habitants) qui accueille déjà plus d’1 million de réfugiés doit absolument recevoir plus de soutien de la part de la communauté internationale et de l’Union Européenne. L’UE devrait également ouvrir des voies d’accès légales vers l’Europe, pour ensuite répartir les réfugiés de manière équitable entre les États-membres. Pour que personne ne doive être exposé à la torture et à des traitements inhumains et dégradants.
Tant que des voies légales ne seront pas ouvertes avec des critères clairs, les personnes exposées à la torture ou des traitements inhumains seront obligées de faire appel à la mafia pour venir illégalement. Ces personnes se retrouvent complètement à leur merci, et les cas de travail forcé et les abus sexuels sont nombreux. Seule l’ouverture de voies légales peut mettre fin aux passeurs et au trafic d’êtres humains.
Enfin, la seule manière de réellement apporter une réponse à la crise des réfugiés est d’arrêter de bombarder la région. Or, le gouvernement Michel a déjà annoncé sa volonté d’augmenter les investissements militaires en engageant notamment 15 milliards d’euros sur les trente prochaines années pour acheter de nouveaux avions de chasse. Aujourd’hui, il veut suivre le président américain Donald Trump et les demandes de l’OTAN de dépenser 5 milliards supplémentaires par an dans le budget de cette dernière…
1. C’est ce que proposait l’avocat-général Paolo Mengozi de la Cour de Justice européenne dans ses conclusions rendues le 7 février dernier